GÉRER UNE START-UP ENTRE PARIS ET NEW YORK
Quarante salariés à Paris, trente à New York. Née en France, la start-up Dashlane, qui vend une solution pour gérer ses mots de passe et revendique plus de quatre millions de clients, s’est très vite imaginée hors des frontières.
Dès sa première levée de fonds (series A) en 2011, elle a créé une structure américaine. Et inversé le rapport de force : la société française est devenue filiale.
Pourtant, si 75% des clients de Dashlane sont basés aux Etats-Unis, le patron Emmanuel Schalit n’imagine pas une seconde y faire venir l’ensemble de sa start-up.
« Le niveau des talents que l’on trouve en France est super. Et au-delà du coût des ingénieurs, qui sont certes moins chers à Paris qu’à New York, on trouve en Europe des gens plus loyaux, et le marché est plus attractif pour une start-up comme la nôtre. » Tandis qu’aux Etats-Unis, les bons ingénieurs peuvent se faire débaucher du jour au lendemain par Facebook, Google, ou un autre géant de la Silicon Valley.
Mais avoir un pied aux US et un pied à Paris nécessite une certaine agilité. Emmanuel Schalit nous explique ses bonnes pratiques, entre Union Square et Ménilmontant.
1- Une culture commune – et américaine
A Paris ou à New York, les bureaux de Dashlane se ressemblent. Open-space, canapés… Et des écrans installés partout, qui affichent l’heure à New York et Paris, le nombre d’utilisateurs en temps réel, et diverses statistiques et graphiques.
« Les gens voient les mêmes chiffres, ont les mêmes infos. Ca a un effet profond sur la formation d’une culture unifiée »,explique Emmanuel Schalit, qui s’est installé à New York en 2013.
Surtout, les bureaux des deux côtés de l’Atlantique sont filmés en permanence – il suffit de jeter un coup d’oeil sur les écrans pour voir quelle est l’ambiance à Paris.
Emmanuel Schalit travaille aussi à créer une culture d’entreprise commune. Sur les murs de Paris ou New York, sont placardées les valeurs que les employés doivent partager (transparence, « team first », passion, « raise the F*cking bar »…). « Les Francais peuvent trouver que c’est du bourrage de crâne, mais c’est important de croire tous dans les mêmes choses », s’excuse Emmanuel Schalit.
A Paris et New York, Dashlane a adopté les mêmes pratiques, très américaines – « enfin, très start-up », corrige Emmanuel Schalit. Anglais dans toutes les communications, même à Paris. Employés très internationaux (à Paris, un tiers des employés ne sont pas Français). Management « fact based », avec beaucoup d’objectifs quantitatifs (« No politics » est l’un des motos de Dashlane).
2- La vidéo au coeur du dispositif
La salle de réunion est étroite, mais deux immenses écrans ont été accrochés au mur, associés à un boitier de la marque LifeSize. L’un est connecté en permanence à la salle de réunion parisienne, l’autre sert à intégrer une tierce personne ou montrer un document. En un clic on se connecte ou se déconnecte.
« Dès le début, on a investi dans du bon matériel. L’idée, c’est que tu quand veux parler à quelqu’un, ça soit immédiat. Ce type d’équipement, ca vaut certes 5 000 dollars, mais c’est deux billets d’avion aller-retour Paris-New York. Et pour nous c’est essentiel », juge Emmanuel Schalit.
Pour faciliter les échanges, le patron de Dashlane tient tous les 15 jours un « town hall meeting » retransmis en direct, avec toute l’entreprise. « Je répond à toutes les questions. »
Tout cela reste possible car New York et Paris ne sont séparés que par six heures sur la pendule. « C’est d’ailleurs pour cela qu’on s’est installés à New York, et pas à San Francisco, où travailler avec la France est beaucoup plus compliqué. »
3- Un organigramme « flat »
Si beaucoup de start-ups franco-américaines séparent les fonctions entre les continents (typiquement, business developpement et marketing aux US, tech en France), Emmanuel Schalit a adopté un modèle plus transversal, avec des équipes à cheval entre les deux bureaux. « Ca permet d’amener tout le monde à travailler en mode transatlatique », explique-t-il.
Autre spécificité : l’accessibilité du patron, et des managers en général. « J’ai mon bureau au milieu de tout le monde, dans l’open-space. Il fait la même taille que celui des autres, c’est le même Ikea à 49 dollars. L’idée, c’est que n’importe qui peut venir me voir ou me solliciter, à Paris ou New York. »
4- Un recrutement bien ciblé
Pour intégrer Dashlane, chaque candidat passe environ 7 à 10 entretiens, avec différentes personnes des deux continents. Parmi les questions essentielles : l’adhésion du candidat à la culture d’entreprise, et surtout, son adhésion au produit.
« Le défi le plus important pour une boite comme la nôtre, c’est d’avoir et de garder les meilleures personnes. Sur les 12 derniers mois, je pense que 60% de mon temps a été dédié à cela », estime Emmanuel Schalit, qui se flatte d’avoir réussi à recruter quelques « gros calibres » américains dans son bureau new-yorkais. Une difficulté à laquelle se heurtent beaucoup de start-ups françaises, qui, aux Etats-Unis, sont noyées dans la masse et peuvent susciter une certaine appréhension chez les cadres de haut-niveau.
« Je crois que l’important, c’est d’envoyer de bons signaux culturels. Je n’hésite pas à montrer que j’ai moi-même une certaine culture américaine. Que je m’intéresse à l’actualité ici, que je peux leur parler de l’équipe de foot de leur état, que j’ai voyagé. Un truc essentiel, aussi, au moment de l’entretien, c’est de poser des questions cash. Il faut que les Américains ne se sentent pas dans un univers français alambiqué », poursuit Emmanuel Schalit, qui, avant Dahslane, a vécu huit ans aux Etats-Unis, et a sur son CV un diplôme d’Harvard.
Autre point sensible : la différence de droit du travail entre la France et les US, en particulier sur la question du licenciement.« Franchement, ce n’est pas un obstacle », assure Emmanuel Schalit, loin de critiquer la situation française. « La période d’essai permet de voir très vite si cela colle ou pas. »
Quant aux vacances, Emmanuel Schalit a trouvé sa solution. « Aux Etats-Unis, on a une no vacation policy, c’est à dire qu’on ne compte pas. Chacun prend ce qu’il veut, et assume. On n’a jamais eu d’abus. »